Par Nikola Mikovic

    Des milliers de migrants désespérés originaires d’Irak, de Syrie, du Yémen et d’autres pays du Moyen-Orient continuent d’arriver au Belarus, dans l’espoir de trouver un moyen d’atteindre l’Union européenne. Ils restent bloqués dans l’ancienne république soviétique alors que les tensions entre Minsk et Bruxelles ne cessent de croître. 

    Nikola Mikovic
    Nikola Mikovic

    Rien n’indique que la crise des migrants pourrait être terminée de sitôt. Des dizaines d’avions remplis de réfugiés continuent d’atterrir à l’aéroport international de Minsk. L’UE accuse le président biélorusse Alexandre Loukachenko d’avoir délibérément orchestré la crise pour attaquer l’Europe.

    En effet, en mai dernier, après que Bruxelles eut imposé des sanctions à Minsk à la suite de l’arrestation d’un éminent dissident, Roman Protosevich, le dirigeant biélorussie a ouvertement menacé de laisser entrer sans entrave dans l’UE de la drogue, du matériel radioactif et des migrants illégaux. Il a tenu sa promesse et utilise désormais les migrants comme un outil contre Bruxelles, ou plus précisément contre les membres orientaux de l’UE comme la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. En d’autres termes, il répond avec succès aux sanctions occidentales. 

    Les migrants, quant à eux, n’ont l’intention de rester dans aucun de ces pays. Ils considèrent la Pologne, ainsi que les États baltes, comme une simple voie de transit vers les membres riches de l’UE – Allemagne, France, Pays-Bas. Varsovie semble toutefois déterminée à empêcher l’afflux de migrants dans l’UE. Les autorités polonaises ont déployé des milliers de soldats le long de la frontière biélorusse et ont dressé des fils barbelés. Pour l’instant, cette mesure a permis de retenir les migrants au Belarus, bien que nombre d’entre eux cherchent d’autres itinéraires pour atteindre leur destination finale. C’est pourquoi la Lituanie et la Lettonie voisines ont commencé à construire de nouvelles barrières à la frontière avec le Belarus. 

    Une fois que les trois membres de l’UE auront achevé la construction des barbelés, voire d’un mur qui empêchera les réfugiés de franchir illégalement la frontière, les migrants resteront sans doute bloqués au Belarus. Hypothétiquement, ils pourraient se déplacer vers le sud en essayant de rejoindre l’Ukraine, puis tenter d’entrer en Pologne, en Slovaquie ou même en Hongrie. Les autorités ukrainiennes sont tout à fait conscientes qu’un tel scénario est réaliste, et c’est pourquoi elles ont décidé de doubler le nombre de gardes-frontières à sa frontière avec le Belarus. 

    On craint également que certains migrants ne se dirigent vers l’est, vers la Russie, étant donné que la frontière entre le Belarus et la Fédération de Russie est pratiquement inexistante, suite à l’accord sur la création de l’État de l’Union Russie-Belarus. Toutefois, cette option ne semble pas très probable, car le Kremlin n’utiliserait probablement pas Loukachenko à rediriger les migrants vers la Russie. En outre, l’Occident accuse Moscou d’être le cerveau de toute l’opération, affirmant que la Russie, par l’intermédiaire de son allié le Belarus, utilise les migrants comme un instrument pour déstabiliser l’UE.

    L’Union européenne envisage d’imposer des sanctions supplémentaires non seulement à Minsk, mais aussi à Moscou. Les dirigeants européens auraient discuté de mesures restrictives contre la compagnie aérienne publique russe Aeroflot pour sa participation présumée à la création de la crise des migrants à la frontière de l’UE. La Russie nie l’accusation, mais au cas où des sanctions seraient réellement imposées, le Kremlin pourrait répondre en interdisant le passage des compagnies aériennes occidentales sur le territoire russe. De son côté, Loukachenko a déjà annoncé qu’il pourrait interrompre le transit de gaz naturel vers l’Europe via le Bélarus. Une telle mesure est toutefois impossible sans l’approbation directe du Kremlin, étant donné que la section du gazoduc Yamal-Europe qui traverse le Belarus appartient au géant russe de l’énergie Gazprom.

    La Russie a déjà considérablement limité les livraisons de gaz à l’Europe, et si Loukachenko met en œuvre une mesure aussi radicale, le continent sera confronté non seulement aux migrants, mais aussi à une crise énergétique. Afin d’éviter un tel scénario, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a suggéré que l’Union européenne fournisse une aide financière à la Biélorussie afin de l’encourager à empêcher les migrants de passer dans le bloc. Le haut diplomate russe a rappelé que lorsque des réfugiés atteignent l’Europe depuis la Turquie en 2015, Bruxelles a alloué des fonds pour les garder en Turquie. 

    « Pourquoi ne peuvent-ils pas aider la Biélorussie de cette manière ? », a demandé Lavrov

    Contrairement à la Turquie, le Belarus n’est pas membre de l’OTAN. Il est membre de l’Organisation du traité de sécurité collective dirigée par la Russie. Du point de vue occidental, financer un allié russe serait interprété comme un signe de faiblesse. C’est pourquoi il est très improbable que l’UE fasse marche arrière. Le Kremlin, quant à lui, a déjà commencé à montrer ses muscles en envoyant des bombardiers patrouiller l’espace aérien du Belarus. Les dirigeants de l’UE savent pertinemment que Moscou bluffe, car il est extrêmement improbable que la Russie lance une guerre contre la Pologne, membre de l’OTAN. Varsovie, pour sa part, ne semble pas disposée à attaquer le Belarus, mais se concentre fermement sur la protection de sa propre frontière contre l’afflux de migrants. Pourtant, tant le Belarus que la Pologne essaient soigneusement d’éviter tout incident majeur. 

    Une chose est sûre: les migrants sont utilisés comme des pions dans un jeu géopolitique entre l’allié russe, le Belarus, et les membres orientaux de l’UE et de l’OTAN. Leur sort dépend fortement d’accords plus larges entre Moscou et l’Occident. Bien que Loukachenko agisse en solo, sa marge de manœuvre politique est plutôt limitée. La dépendance financière et énergétique du Belarus vis-à-vis de la Russie ne lui permet pas de prendre des mesures radicales contre l’Union européenne. 

    « Je ne suis pas fou. Je sais parfaitement ce que cela peut entraîner. Nous en sommes bien conscients et nous connaissons notre place », a souligné M. Loukachenko.

    On s’attend donc à ce que le dirigeant bélarussien continue de coordonner ses actions avec le Kremlin, même s’il aura certainement tendance à préserver un degré important d’autonomie. Les récentes discussions entre le président russe Vladimir Poutine et la sortante chancelière allemande Angela Merkel sur la crise des migrants laissent clairement entendre que Moscou et l’Occident tenteront bientôt de trouver un terrain d’entente sur la question. 

    Auteur: Nikola Mikovic (Journaliste, chercheur et analyste basé en Serbie. Il couvre principalement les politiques étrangères de la Russie, du Belarus et de l’Ukraine)

    (Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de World Geostrategic Insights). 

    Crédit image: Ministère de la défense polonais via Reuters (Des centaines de migrants tentent de traverser du côté biélorusse de la frontière avec la Pologne, près de Kuznica Bialostocka, en Pologne, le 8 novembre 2021).

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