Par Andrew KP Leung
Voici une analyse révélatrice publiée le 23 avril 2024 dans Foreign Affairs par Elizabeth Economy, Senior Fellow à la Hoover Institution de l’université de Stanford et ancienne conseillère principale pour la Chine au ministère américain du commerce. Elle est l’auteur de The World According to China (Le monde selon la Chine).
L’aperçu perspicace de Mme Economy remet en question l’efficacité et la popularité de la politique par défaut de l’Amérique, qui consiste à exercer une coercition maximale, légitime ou non, pour réaliser sa vision d’un ordre mondial « libéral » dirigé par l’Amérique. Cette politique comprend la formation et la fortification de groupes militaires exclusifs d’alliés (tels que le pacte de sous-marins nucléaires AUKUS (Autriche-Royaume-Uni-États-Unis)) et des sanctions à long terme basées sur le dollar contre les adversaires perçus, en particulier la Chine. Cette dernière est désormais considérée par un consensus bipartisan comme la principale « menace existentielle » pour les intérêts nationaux de l’Amérique.
La politique étrangère américaine, plus coercitive, se compare à la version de Pékin, plus inclusive et plus axée sur le développement, en particulier avec le Sud, marginalisé depuis des décennies par l’hégémonie américaine. Si l’image de la Chine s’est dégradée dans le monde entier au cours des dernières années, il ne fait aucun doute que sa crédibilité a gagné du terrain.
Mme Economy souligne les « quatre piliers » qui sous-tendent les relations internationales relativement plus influentes de la Chine : l’initiative « la Ceinture et la Route » (BRI) en 2013, l’initiative pour le développement mondial (GDI) en 2021, l’initiative pour la sécurité mondiale (GSI) en 2022, et l’initiative pour la civilisation mondiale en mai 2023. La Chine est perçue dans le monde entier comme étant relativement cohérente dans ses paroles et ses actes. En comparaison, l’Amérique « dit une chose et en fait une autre » dans sa dernière tentative de stabilisation des relations sino-américaines (comme l’a souligné le président Xi lors de sa rencontre avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken le 26 avril 2024).
Mme Economy suggère que les États-Unis s’inspirent de la Chine pour lancer une campagne de relations extérieures plus robuste et plus inclusive, mais centrée sur « l’ouverture, la transparence, l’État de droit et la responsabilité des autorités, qui sont les caractéristiques des démocraties de marché dans le monde ».
Cependant, le Sud global a résisté à l’exceptionnalisme américain et à sa « destinée manifeste » de remodeler le monde à son image.
Pour être juste, la suprématie américaine était à l’origine largement limitée à l’hémisphère occidental (en vertu de la doctrine Monroe). Ce n’est qu’après la victoire rapide du Troisième Reich sur l’Europe, au début de la Seconde Guerre mondiale, que les élites américaines ont adopté l’impératif de façonner l’ordre mondial selon les idéaux américains, d’après le livre révélateur de Stephen Wertheim, Tomorrow, the World : The Birth of U.S. Global Supremacy (Belknap Press, An Imprint of Harvard University Press, octobre 2020).
À la suite de l’effondrement de l’Empire britannique après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont profité des fruits de leur « moment unipolaire » pendant des décennies. La suprématie mondiale des États-Unis est désormais bien ancrée dans la psyché nationale et dans la politique bipartisane, en dépit des bouleversements de la dynamique mondiale, notamment la montée en puissance spectaculaire de la Chine, dont la civilisation et l’idéologie sont différentes, le rapprochement et le basculement vers l’Est de factions opposées au Moyen-Orient, la croissance du Sud global et un monde encore plus interconnecté, embrassant les 4e et 5e révolutions industrielles.
À moins que les États-Unis ne changent leur mentalité binaire de « gagnant ou perdant », qu’ils ne soient réellement prêts à rivaliser avec la Chine dans l’esprit olympique plutôt que dans un combat mortel, et qu’ils ne soient prêts à coexister avec la Chine en dépit d’idéologies diamétralement opposées et d’autres différences, il est peu probable qu’un ordre mondial plus harmonieux se matérialise de sitôt, même si l’Amérique essaie de prendre exemple sur la Chine.
L’auteur: Andrew KP Leung – Stratège international et indépendant sur la Chine. Président-directeur général d’Andrew Leung International Consultants and Investments Limited. Il a été directeur général de la protection sociale et représentant officiel de Hong Kong au Royaume-Uni, en Europe de l’Est, en Russie, en Norvège et en Suisse.
(Les opinions exprimées dans cet article n’appartiennent qu’à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale ou les opinions de World Geostrategic Insights).