Par Andrew KP Leung (Stratège international et indépendant pour la Chine. Président et PDG, Andrew Leung International Consultants and Investments Limited)

    Andrew-K.P.Leung_La récente visite d’État du président Xi Jinping en Arabie saoudite était bien plus que la recherche d’un rôle plus important au Moyen-Orient. Il s’agissait d’un chapitre « historique » d’un ordre mondial qui s’améliore rapidement.

    Les raisons en sont multiples.

    Tout d’abord, contrairement à la récente réception terne du président Joe Biden à Riyad, la visite du président Xi a été marquée par une pompe et des circonstances de premier ordre. Il y a également eu des rencontres en tête-à-tête avec une série de chefs d’États arabes.

    Deuxièmement, la visite s’est déroulée après que l’OPEP a ouvertement défié la demande des États-Unis en réponse au conflit russo-ukrainien.

    Troisièmement, le billet vert est en train de perdre son statut mondial de « pétrodollar », les États-Unis étant devenus un exportateur net d’énergie. La Chine est désormais le premier client énergétique du Moyen-Orient, et de loin. Le président Xi a promis d’acheter encore plus de pétrole du Moyen-Orient, en utilisant le renminbi pour le règlement des transactions. Comme la Chine est le plus grand négociant du monde, le RMB va s’internationaliser encore davantage, érodant l’armement du dollar.

    Quatrièmement, pour un nombre croissant de pays, notamment les nations arabes et islamiques, l’ordre mondial libéral dominé par les États-Unis s’effiloche, voire s’effondre.

    Selon une étude réalisée en 2021 par l’université Brown, la guerre contre le terrorisme inspirée par les États-Unis a provoqué le déplacement de quelque 38 millions de personnes au Moyen-Orient, avec 900 000 morts, dont 364 000 civils, et des dommages collatéraux s’élevant à 8 000 milliards de dollars.

    Le retrait embarrassant des États-Unis de l’Afghanistan en 2021 a remis le pays à des talibans victorieux après deux décennies, sapant ainsi la crédibilité des États-Unis. Il en va de même pour le retrait unilatéral de l’ancien président Donald Trump, en 2018, de l’accord sur le nucléaire iranien, négocié laborieusement par les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne.

    Cinquièmement, le discours principal du président Xi lors du sommet Chine-CCG le 9 décembre a mis en garde contre la montée de l’islamophobie liant le terrorisme à des peuples et à une religion présélectionnés. Il a promu l’idée d’un monde multilatéral, plus juste, plus inclusif et pacifique, orienté vers un développement continu. Ces notions trouvent un écho dans une grande partie du monde en développement, y compris dans les nations arabes et islamiques, qui ont souffert pendant des siècles de l’hégémonie et de l’unilatéralisme occidentaux.

    Les pays d’Asie et d’Europe de l’Est sont appelés à acquérir une importance mondiale bien plus grande, comme le soulignent d’éminents auteurs dans des ouvrages tels que Easternization de Gideon Rachman et The Asian 21st Century de Kishore Mahbubani. D’après les dernières recherches de Goldman Sachs, d’ici 2050, la Chine, l’Inde et l’Indonésie devraient devenir les première, troisième et quatrième économies mondiales ; d’ici 2075, sept des huit plus grandes économies seront des pays en développement actuels (les États-Unis occupant la troisième place).

    Sixièmement, le président Xi a souligné le rôle de développement joué par l’initiative chinoise « Belt and Road ». À l’encontre de l’image persistante de la « diplomatie du piège de la dette » véhiculée par l’Occident, une étude publiée le 11 juillet par l’ONG britannique Debt Justice a révélé que les pays africains ont une dette trois fois plus importante envers les prêteurs commerciaux occidentaux qu’envers la Chine, et qu’ils doivent payer des intérêts deux fois plus élevés.

    Selon la Banque mondiale, les projets d’infrastructure de « la Ceinture et la Route » pourraient accroître le commerce entre les pays de 2,8 % et le PIB de 3,4 %, sortant 7,6 millions de personnes dans le monde de l’extrême pauvreté et 32 millions de la pauvreté modérée, remplissant ainsi les objectifs de développement durable 2030 des Nations unies.

    Au cours des neuf dernières années, la Chine a signé plus de 200 documents de coopération avec plus de 140 pays et plus de 30 organisations internationales dans le cadre de « la Ceinture et la Route ». Sur 22 pays arabes, 20 ainsi que la Ligue arabe ont signé.

    Septièmement, malgré la guerre commerciale et technologique des États-Unis et le découplage, un rapport de Reuters du 29 novembre montre que la part de la Chine dans les exportations mondiales reste stable à environ 15 %, soit le niveau le plus élevé qu’un pays ait connu depuis les années 1970. Indépendamment des blocages liés à la pandémie, les investissements directs étrangers ont augmenté de 14 % entre janvier et octobre. Huit multinationales européennes sur dix présentes en Chine ont enregistré une croissance de leurs bénéfices en 2021. Trois entreprises interrogées sur quatre n’envisagent pas de déplacer leurs investissements hors du pays.

    Huitièmement, menacée par la mainmise des États-Unis sur les puces à semi-conducteurs, la Chine se lance dans les puces photoniques de nouvelle génération, les circuits optiques intégrés, ainsi que les puces quantiques. Avec une longueur d’avance dans divers aspects de la 5G, du big data et de l’internet des objets, la Chine garde une longueur d’avance en exploitant les quatrième et cinquième révolutions industrielles.

    Selon un rapport de l’université de Georgetown datant d’août 2021, d’ici 2025, les universités chinoises produiront chaque année plus de 77 000 titulaires de doctorats dans le domaine des STIM, soit plus de trois fois plus que leurs homologues américaines, si l’on exclut les étudiants internationaux.

    Bien qu’exclue dès le départ de la station spatiale internationale dirigée par les États-Unis, la Chine est en train d’achever rapidement sa propre station spatiale en partant de zéro, en invitant les autres nations, y compris les États arabes, à collaborer à des expériences à bord.

    Neuvièmement, dans le cadre de la démocratie contradictoire, les deux partis politiques américains s’affrontent bec et ongles. Le gouvernement en place tend à pencher vers les intérêts et les circonscriptions du parti gagnant à chaque cycle électoral. La Harvard Kennedy School a constaté en 2020 que le gouvernement chinois était en tête de la liste des gouvernements les mieux soutenus par leur population, plusieurs rangs au-dessus des États-Unis. Cette année, le baromètre de confiance Edelman, basé à New York, indique que la confiance des citoyens chinois dans leur gouvernement atteint un niveau record de 91 %, le plus élevé depuis dix ans, contre 39 % pour les États-Unis.

    Enfin, le président Xi a clairement indiqué que la Chine n’avait pas l’intention de supplanter les États-Unis à la tête du monde. Après tout, les nombreux atouts des Etats-Unis – géographiques, écologiques, militaires, économiques, financiers, scientifiques, institutionnels, l’étendue des alliés, l’attrait culturel, etc – restent inégalés.

    Cependant, selon un article du Washington Post, « Is the United States headed for civil war », publié le 20 août, les Etats-Unis semblent aujourd’hui les plus proches du bord d’une guerre civile depuis 1861. Pour retrouver leur leadership mondial, les États-Unis doivent d’abord mettre de l’ordre dans leur propre maison, notamment en améliorant leurs infrastructures, en renforçant leur compétitivité économique et en réduisant les inégalités socio-économiques. Par-dessus tout, ils doivent éviter de considérer un monde plus multipolaire comme leur propre huître, en montrant l’exemple plutôt que la coercition. La fixation sur la supériorité militaire et la diabolisation de la Chine ne sont pas des substituts.

    Andrew KP LeungStratège international et indépendant pour la Chine ; il était auparavant directeur général de la protection sociale et représentant principal officiel de Hong Kong pour le Royaume-Uni, l’Europe de l’Est, la Russie, la Norvège et la Suisse.

    (Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de World Geostrategic Insights).

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