Par Giancarlo Elia Valori
La France possède de nombreux territoires d’outre-mer dans la région indopacifique et est une véritable puissance résidente dans la région. Actuellement, plus de 1,6 million de citoyens vivent dans les territoires français des océans Pacifique et Indien.

Les territoires français de l’océan Indo-Pacifique disposent d’une zone économique exclusive (ZEE) pouvant atteindre 9 millions de kilomètres carrés. C’est le seul pays de l’UE ayant des intérêts souverains dans la région Indo-Pacifique. Il ne s’agit donc pas seulement de l’influence française, mais aussi de l’équilibre militaire et géopolitique dans une région stratégiquement importante.
La dernière fois que la Marine française avait envoyé un porte-avions dans le Pacifique, c’était en 1968. Après 56 ans, la Marine française a redéployé le groupe aéronaval de l’Indo-Pacifique avec le porte-avions Charles de Gaulle, ce qui a été particulièrement apprécié par le pays transalpin, car cela implique des considérations stratégiques et des recommandations politiques.
À partir de 2021, la stratégie française pour l’Indo-Pacifique a pris en compte les aspects suivants : les tensions dans la région indo-pacifique sont considérées comme des enjeux mondiaux ; le déploiement et l’influence de la France dans l’Indo-Pacifique ; les partenariats français dans l’Indo-Pacifique ; les objectifs et les actions du pays dans l’Indo-Pacifique.
Pour Paris, il est essentiel de veiller à ce que la France dispose d’une force militaire forte dans la zone indopacifique pour protéger sa population en cas de crise, et de démontrer sa présence dans la zone, notamment pour maintenir les capacités opérationnelles autonomes de la France dans la région, tout en veillant à ce que les navires français puissent entrer librement dans la zone indopacifique et défendre la souveraineté du pays.
Les territoires français de l’Indo-Pacifique sont au cœur de la stratégie de la France visant à poursuivre des objectifs tels que la sécurité et la défense ; l’économie, la connectivité, la recherche et l’innovation ; le pluralisme et l’État de droit, ainsi que le changement climatique, la diversité et la gestion durable des océans, qui ne peuvent être atteints que par une action forte.
Par exemple, premièrement, en matière de sécurité et de défense, surveiller les zones souveraines ; organiser des exercices multilatéraux ; participer aux opérations de sauvetage de personnel et de surveillance des pêches ; faire respecter le droit international et la liberté de navigation ; coopérer pour partager les informations maritimes ; approfondir l’interopérabilité avec les partenaires ; et coopérer sur les questions de sécurité climatique et environnementale.
Deuxièmement, en matière d’économie, de connectivité, de recherche et d’innovation, établir des partenariats avec les pays de la région pour protéger les chaînes d’approvisionnement ; mettre en œuvre les principes du G20 sur les investissements dans des infrastructures de qualité ; développer vigoureusement les infrastructures d’énergies renouvelables ; collaborer avec les entreprises françaises et mobiliser les forces militaires ; et renforcer la coopération en matière de recherche, notamment dans le domaine de la santé.
Troisièmement, en matière de diversité et d’État de droit, coopérer avec les pays de la région au sein des organisations internationales ; soutenir les réponses multilatérales à la possible résurgence de la pandémie de COVID-19 ; renforcer les partenariats avec l’ASEAN et les organisations régionales de l’océan Indien ; et promouvoir le modèle français de gouvernance des océans et de sécurité maritime.
Quatrièmement, en matière de changement climatique, de biodiversité et de gestion durable des océans, sensibiliser les pays de la région à la réalisation d’objectifs climatiques ambitieux ; déployer des efforts concrets dans le domaine de l’énergie solaire ; et renouveler l’initiative Kiwa. L’initiative Kiwa/Solutions fondées sur la nature (SFN) pour la résilience climatique vise à renforcer la résilience des écosystèmes, des communautés et des économies des îles du Pacifique face au changement climatique grâce aux SFN, en protégeant, en gérant durablement et en restaurant la biodiversité. Lancée en 2020 avec 31 millions d’euros et dotée aujourd’hui de 57 millions, l’initiative est financée par l’Union européenne, l’Agence française de développement, Affaires mondiales Canada, le ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce et le ministère néo-zélandais des Affaires étrangères et du Commerce. L’initiative Kiwa a établi des partenariats avec la Communauté du Pacifique, le Secrétariat du Programme régional océanien de l’environnement et le Bureau régional océanien de l’Union internationale pour la conservation de la nature.
La présence de la flotte française dans l’Indo-Pacifique permet également de promouvoir la High Ambition Coalition for Nature and People, d’établir des partenariats dans l’économie bleue, de renforcer la capacité de réponse aux catastrophes naturelles et de conclure des accords régionaux avec des instituts de recherche français.
En outre, elle atténue certains différends franco-australiens liés à la crise de l’échec de l’achat de sous-marins transalpins. La participation active de la France au Dialogue quadrilatéral sur la sécurité (Quad) entre les États-Unis d’Amérique, l’Australie, l’Inde et le Japon et au partenariat trilatéral de sécurité (AUKUS) entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique est très importante ; une présence qui contribuera à renforcer l’influence de la France dans cette région délicate du monde.
Le Charles de Gaulle est le seul porte-avions de la Marine nationale actuellement en service, ainsi que le premier et le seul navire de surface à propulsion nucléaire construit en Europe occidentale : il remplace le Clemenceau, précédemment envoyé dans le Pacifique, et désormais en fin de carrière.
Le groupe aéronaval du porte-avions Charles de Gaulle, dont ce dernier constitue le noyau, est composé de trois frégates, d’un navire de ravitaillement, d’un sous-marin et d’avions de chasse Rafale. Cette mission expéditionnaire est également appelée Clemenceau 25. Le groupe a quitté la base de Toulon, dans le sud de la France, le 28 novembre et s’est dirigé vers la région indo-pacifique. En chemin, il a traversé la Méditerranée orientale, la mer Rouge, l’océan Indien et la mer de Chine méridionale. Le programme comprend deux exercices conjoints avec l’Inde et d’autres également avec des pays de l’océan Indien.
Faute de moyens suffisants, la France n’est pas en mesure de démontrer la capacité de combat d’un groupe aéronaval de 100.000 tonnes à propulsion nucléaire comme les États-Unis d’Amérique. Cependant, le redéploiement par la France du groupe aéronaval Charles de Gaulle démontre pleinement que la France, en tant que puissance de l’Indo-Pacifique, ne sera pas absente de la mission de maintien de la paix et de la prospérité dans l’Indo-Pacifique.
Les implications stratégiques sont fondamentales. Les territoires français d’Océanie (Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, Polynésie française et l’île de Clipperton) sont à plus de 15 000 kilomètres du continent. Il n’est pas facile d’assurer le contact et le soutien entre les deux. De sa stratégie indopacifique qui désigne les territoires d’outre-mer comme le cœur de sa stratégie, on peut déduire la volonté de la France d’envoyer ce groupe aéronaval, tout en considérant d’autres éléments.
Tout d’abord, la France, dont le territoire continental est éloigné de l’Océanie, envoie sa marine depuis le sud du pays et laisse entrevoir sa présence militaire dans les zones de passage, afin de garantir les intérêts français dans les eaux susmentionnées et de maintenir la vitalité du commerce international.
Par ailleurs, alors que la République populaire de Chine étend ses patrouilles et poursuit sa présence maritime, certains pays européens ont, ces dernières années, accru leur participation aux questions de sécurité dans la zone indopacifique et renforcé leur coopération en matière de défense avec le Japon. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et l’une des puissances de la zone indopacifique, il est naturel que la France développe des formations conjointes avec ses partenaires et alliés dans la région et au-delà.
Ces dernières années, la République populaire de Chine et les Philippines ont connu des différends territoriaux et ont été au centre de débats houleux sur des questions telles que les collisions et les inspections en mer, etc. Cela a suscité des inquiétudes parmi les pays qui ont des intérêts stratégiques et commerciaux dans la zone indopacifique, ainsi que des réminiscences d’un passé colonial. Les États-Unis d’Amérique et le Japon se sont joints à la République de Corée (du Sud), à l’Inde, aux Philippines, à l’Australie et au Canada pour intensifier les exercices conjoints afin d’être présents autant que Pékin.
En tant que membre important de la région indo-pacifique, la France souhaite contribuer à promouvoir une région indo-pacifique ouverte qui respecte le droit international de la mer. L’envoi du groupe aéronaval Charles de Gaulle est une véritable déclaration en tant que puissance régionale.
Comme mentionné ci-dessus, la France compte plus de 1,6 million de citoyens dans la région indo-pacifique et dispose d’une zone économique exclusive de près de 9 millions de kilomètres carrés. Pour garantir la sécurité de ses citoyens, sa souveraineté et ses intérêts économiques, le moyen le plus direct est de déployer des forces militaires (ce que l’Union européenne ne veut absolument pas comprendre lorsqu’il s’agit d’autres questions). Le groupe aéronaval Charles de Gaulle s’est dirigé vers l’Indo-Pacifique pour contribuer à la protection de ses intérêts, tandis que l’UE ne le fait pas dans l’espoir d’une paix kantienne qui n’existe pas.
Le groupe aéronaval Charles de Gaulle dispose d’une puissance de combat et de feu considérable et agit comme un aiguillon pour la présence des alliés que sont les États-Unis d’Amérique, le Japon, l’Inde, l’Australie, le Canada, la République de Corée (du Sud) et les Philippines. Il est évident que la France tente de contenir, avec les autres, la République populaire de Chine, mais avec une différence : dans cette zone, la mer, en plus de porter des toponymes chinois, baigne les côtes chinoises, et non celles de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Inde, des États-Unis d’Amérique, du Canada et de l’Australie. Il faut donc être très attentif aux développements ultérieurs dans ces eaux.
L’envoi de cette force opérationnelle française, après près d’un demi-siècle, est sans aucun doute un facteur de confiance pour les partenaires dirigés par les États-Unis d’Amérique et démontre qu’il existe une volonté occidentale de contenir la République populaire de Chine dans la zone indopacifique. Et ce n’est pas un hasard si le groupe aéronaval français va mener des exercices militaires navals avec les pays de la zone indopacifique, les uns après les autres.
La France renforce stratégiquement sa puissance militaire dans la région et organise des exercices avec l’Inde sur deux porte-avions. Dans un contexte de montée en puissance de la République populaire de Chine, l’Inde a non seulement cherché à acheter des avions de combat Rafale à la France, mais les deux marines ont également renforcé leur coopération et leurs opérations navales dans la région indo-pacifique. Parmi celles-ci, le porte-avions français Charles de Gaulle et le porte-avions indien Vikramaditya ont lancé l’exercice d’attaque bimoteur Varuna 2025 le 19 mars.
La marine indienne a déclaré que les activités du 23e exercice naval bilatéral annuel comprenaient des simulations de combat aérien entre les chasseurs Rafale-M de la marine française et les chasseurs MiG-29K de la marine indienne, des exercices anti-sous-marins, des exercices de ravitaillement maritime et des exercices de guerre de surface. L’exercice s’est déroulé à un moment où les deux pays avaient conclu un important accord sur les armes : la France a vendu à l’Inde des sous-marins de la classe Scorpène et des avions de chasse Rafale, ces derniers devant être déployés sur le Vikramaditya. Les ventes d’armes et les marchandages se font toujours au nom de la paix.
Il convient également de mentionner que le porte-avions Charles de Gaulle et le navire de ravitaillement Jacques Chevalier sont arrivés à Subic Bay, aux Philippines, le 21 février. La veille, le groupe aéronaval du porte-avions Charles de Gaulle a également mené des exercices bilatéraux conjoints avec la marine et l’armée de l’air philippines en mer de Chine méridionale. Parmi les participants figuraient le porte-avions susmentionné, le destroyer Forbin de la classe Horizon, les frégates Provence et Alsace, le Jacques Chevalier susmentionné, la frégate Jose Rizal de la marine philippine construite en Corée du Sud, le patrouilleur philippin Gregorio del Pilar, ainsi que des chasseurs embarqués sur le porte-avions de la marine française, un avion de patrouille philippin et trois chasseurs légers FA-50PH. Le Forbin est également arrivé à Subic Bay avec le Charles de Gaulle, tandis que le Provence et l’Alsace ont fait escale à Manille.
L’ambassadrice de France aux Philippines, Marie Fontanel, a embarqué à bord du Charles de Gaulle, amarré à Subic Bay le 23 février, et a prononcé un discours dans lequel elle a déclaré que l’objectif de la France était d’approfondir la coopération avec les partenaires régionaux et de maintenir avec ces partenaires des « valeurs communes », telles que « le respect du droit international » et « la garantie de la liberté de navigation ». La France souhaite « contribuer à la liberté de navigation dans le monde entier, y compris dans la région indo-pacifique ». Dans son discours, le contre-amiral Jacques Mallard, commandant du groupe aéronaval français, a déclaré que le déploiement du groupe aéronaval français « n’est pas une provocation contre un pays » mais seulement « un exercice de liberté de navigation dans la région ».
Deux autres avions anti-sous-marins à voilure fixe Atlantic-2 de la Marine française ont été déployés à la base aérienne de Clark, sur l’île philippine de Luçon, le 5 février, pour soutenir les opérations du groupe aéronaval français.
Terminons par quelques réflexions chinoises: Zhang Junshe, chercheur à l’Institut de recherche militaire navale de l’Armée populaire de libération, estime que les actions des porte-avions de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne et d’autres pays de la région Asie-Pacifique, d’une part, s’inscrivent dans la stratégie indo-pacifique des États-Unis d’Amérique et, d’autre part, sont une manifestation concrète de la « pacification de l’Asie » par l’OTAN. « Que ces pays renforcent leur présence militaire dans la région Asie-Pacifique ou organisent de fréquents exercices dans la région Asie-Pacifique, ils favorisent sans aucun doute la militarisation de la région Asie-Pacifique et auront un impact négatif sur les décennies de paix et de stabilité dans la région Asie-Pacifique. »
Zhang Junshe a déclaré que les conflits en Europe et au Moyen-Orient ces dernières années ont fait que les habitants de la région Asie-Pacifique apprécient particulièrement la paix régionale. Il a ajouté que les pays et les peuples de la région Asie-Pacifique ne veulent pas que des forces étrangères renforcent leur présence militaire dans la région, provoquent de mauvaises relations entre les pays de la région et intensifient les tensions régionales, ce qui compromettrait davantage la paix et la stabilité dans la région.
Giancarlo Elia Valori– Honorable de l’Académie des Sciences de l’Institut de France, professeur honoraire à l’Université de Pékin.
(Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de World Geostrategic Insights).
Crédit image : AFP