Par Yasir Masood
Le Baloutchistan, la plus grande province du Pakistan, est bordé par l’Afghanistan, l’Iran et la mer d’Oman et recèle environ 1 000 milliards de dollars de minerais inexploités. Pourtant, elle est confrontée à la pauvreté et à des infrastructures insuffisantes. Des décennies d’extraction inéquitable des ressources ont aggravé la marginalisation du Baloutchistan.

Alors que les seigneurs féodaux locaux, les politiciens, les entreprises et les autorités fédérales profitent de ses minéraux, les communautés sont exclues des avantages économiques, ce qui alimente les griefs exploités par des groupes militants comme l’Armée de libération du Baloutchistan (BLA), qui a émergé au début des années 2000 pour défendre l’accès aux ressources et l’autonomie. La BLA est un groupe nationaliste militant que les États-Unis désignent comme une organisation terroriste mondiale spécialement désignée.
L’emplacement stratégique du Baloutchistan peut l’emporter sur ses ressources minérales. Le col de Bolan, par exemple, est un corridor vital qui traverse les montagnes escarpées et relie Quetta, la capitale du Baloutchistan, au reste du Pakistan. Il est devenu une zone de conflit avec 64 attaques de trains entre 2005 et 2017, faisant plus de 60 morts. En novembre, un attentat-suicide du BLA à la gare de Quetta a fait 25 morts et plus de 50 blessés.
Une embuscade révèle des tactiques hybrides
Le 11 mars 2025, le BLA a tenté de détourner le Jaffar Express, faisant 21 morts et 31 militants tués au cours d’une opération de sauvetage de 48 heures. Cette embuscade sans précédent contrastait avec leurs tactiques habituelles de « frappes éclair » contre les forces de sécurité. Le BLA a déclaré que le détournement était « une réponse directe à l’occupation coloniale du Baloutchistan par le Pakistan depuis des décennies et aux crimes de guerre incessants commis contre le peuple baloutche ». Le Conseil de sécurité des Nations unies a toutefois « condamné dans les termes les plus forts » ce qu’il a qualifié d’« attaque terroriste odieuse et lâche ».
La « guerre hybride » combine des tactiques conventionnelles et irrégulières, des attentats-suicides, des violences sexistes, des campagnes de désinformation et une coordination transfrontalière pour déstabiliser les États de l’intérieur. Pendant la crise du Jaffar Express, les médias indiens ont amplifié de faux récits pour alimenter la peur du public, tandis que des agents afghans guidaient les militants par téléphone satellite. Cette stratégie vise à exploiter les vulnérabilités du Pakistan et à internationaliser le conflit au Baloutchistan.
En mars 2025, une attaque dans le district de Kalat, au Baloutchistan, a vu une femme kamikaze prendre pour cible un convoi militaire, tuant un soldat et en blessant quatre. Les analystes attribuent cet acte au BLA, citant son histoire de violence sexiste, notamment l’attentat à la bombe perpétré par Shari Baloch en 2022 à l’Institut Confucius de Karachi. De telles opérations soulignent la dépendance du BLA à l’égard d’un soutien extérieur et de tactiques hybrides.
L’escalade du terrorisme et le lien entre les groupes militants
Depuis le 11 septembre, le terrorisme a fait 67 000 victimes au Pakistan, avec des dommages économiques dépassant les 126 milliards de dollars. L’indice mondial du terrorisme (Global Terrorism Index, GTI) 2025 fait état d’une augmentation de 45 % des décès (748 en 2023 contre 1 081 en 2024), ce qui place le Pakistan au deuxième rang mondial. Les attentats terroristes sont passés de 517 en 2023 à 1 099 en 2024, dépassant pour la première fois le millier d’incidents.
La violence du BLA s’est intensifiée, passant de 116 attaques en 2023 à 504 en 2024, avec un nombre de morts passant de 88 à 388. L’attentat à la bombe contre le chemin de fer de Quetta a été l’attaque la plus meurtrière de 2024, marquant un passage au terrorisme urbain. La plupart des victimes se sont produites au Baloutchistan et dans la région du Khyber Pakhtunkhwa, à la frontière avec l’Afghanistan.
L’escalade de la violence par le BLA a coïncidé avec le retour au pouvoir des talibans à Kaboul en 2021, qui a rétabli des refuges pour des groupes tels que le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), désigné par les États-Unis. Connu pour son extrémisme misogyne et sectaire, le TTP opère ouvertement en Afghanistan avec le soutien des talibans afghans et d’Al-Qaïda. Alors que le BLA domine le Baloutchistan, le TTP a refait surface en tant que groupe militant le plus meurtrier du Khyber Pakhtunkhwa, avec des attaques passant de 293 en 2023 à 482 en 2024, faisant 558 morts, soit une augmentation de 91 % des décès. Cela représente 52 % des victimes liées au terrorisme au Pakistan, consolidant le statut du TTP comme la menace la plus importante du pays.
Au cours de la dernière décennie, le BLA a collaboré avec le TTP pour mener des attaques coordonnées au Baloutchistan, des rapports de renseignement indiquant une possible fusion. Alors que le BLA a autrefois épousé des idéaux laïques, il a de plus en plus adopté des tactiques sectaires malgré des démentis publics. Les deux groupes s’alignent cependant sur leur objectif de démanteler l’autorité d’Islamabad : le BLA présente l’État comme une force coloniale, tandis que le TTP le condamne comme anti-islamique. Leurs différences idéologiques s’estompent face à leur objectif commun de renverser le gouvernement pakistanais.
Le BLA, autrefois ancré dans la laïcité, s’appuie désormais fortement sur des alliances qui orientent ses activités vers la violence sectaire, éclipsant ses fondements idéologiques antérieurs. En 2021, les autorités ont capturé un commandant de l’EIIL-K lié à l’attentat à la bombe de l’Abbaye en Afghanistan, une attaque qui a tué 13 Marines américains et 160 Afghans. Dans son discours du 4 mars devant le Congrès américain, le président Trump a publiquement salué la coopération du Pakistan dans l’arrestation du suspect, le qualifiant de « monstre ».
Les groupes terroristes basés en Afghanistan, comme l’EIIL-K, menacent désormais la stabilité régionale, le Pakistan étant l’une de leurs cibles. L’attentat à la bombe perpétré par l’EIIL-K en janvier 2024 à Kerman, en Iran, a fait 100 morts. Des mois plus tard, le groupe a frappé une salle de concert à Moscou, massacrant 145 spectateurs. Au Pakistan, le BLA a fait monter les tensions en détournant un train de voyageurs, tandis que les talibans ont attisé les craintes en offrant une prime de 500 000 dollars pour la tête d’un leader progressiste pachtoune. Un vice-ministre afghan de l’Intérieur a ironiquement rejeté la prime, affirmant que les talibans pouvaient « le faire pour 500 roupies » (moins de 2 dollars).
Échecs de la lutte contre le terrorisme et complicité régionale
Les efforts du Pakistan en matière de lutte contre le terrorisme restent entravés par des politiques inefficaces. Bien qu’il accueille 4 millions de réfugiés afghans, il peine à démanteler les sanctuaires du TTP. Un rapport de l’ONU de 2024 confirme que les talibans abritent entre 6 000 et 6 500 militants du TTP, une préoccupation dont s’est fait l’écho l’ambassadeur Munir Akram au Conseil de sécurité des Nations unies, où il a accusé Kaboul d’abriter 20 groupes terroristes. L’alliance TTP-BLA, alimentée par le sentiment anti-CPEC, complique le paysage sécuritaire du Pakistan. L’investissement de 3 milliards de dollars de l’Inde en Afghanistan depuis 2001 exacerbe les craintes d’encerclement du Pakistan, alors que New Delhi exploite les troubles baloutches pour perturber le CPEC.
Guerre hybride vis-à-vis du CPEC
La guerre par procuration menée par l’Inde au Baloutchistan, révélée par la capture de l’espion Kulbhushan Jadhav en 2016, alimente des groupes militants tels que le BLA par le biais d’armes, de désinformation et de sabotage des infrastructures chinoises, comme en témoignent les attaques coordonnées telles que l’embuscade du Jaffar Express. Guidé par la doctrine Ajit Doval, le plan de l’Inde s’appuie sur les consulats situés près de la frontière pakistanaise pour déstabiliser le CPEC, qu’il considère comme une menace pour l’influence régionale. En armant les factions du BLA et en ciblant les projets chinois, New Delhi vise à fracturer l’économie pakistanaise et à mondialiser le conflit baloutche, bien qu’elle nie toute implication.
Alors que les liens entre les États-Unis et l’Inde se renforcent par le biais de l’Alliance Quad pour contrer la Chine, le Pakistan est confronté à un isolement diplomatique. Pourtant, Pékin reste essentiel pour le CPEC, tandis que le scepticisme de l’Iran envers les talibans donne un levier à Islamabad. Stratégiquement situé entre l’Asie centrale et le Moyen-Orient, le Pakistan conserve une importance géopolitique.
Le Baloutchistan illustre la guerre hybride, où l’exploitation des ressources et les divisions ethniques se mêlent à une fusion de violence interne et de manipulation externe, occultée dans les récits dominants. Contrairement aux insurrections conventionnelles, son instabilité est orchestrée par des entrepreneurs politiques locaux et nationaux qui attisent le chaos à des fins personnelles ou idéologiques tout en collaborant secrètement avec des puissances étrangères.
Le CPEC, menacé par la concurrence entre les États-Unis et la Chine, l’hostilité de l’Inde, les manœuvres stratégiques de l’Iran et les guerres par procuration de l’Afghanistan, est devenu un terrain fertile pour les groupes militants franchisés tels que le BLA, le TTP et l’ISIS K. Cette agitation orchestrée entretient la crise du Baloutchistan, masquant la symbiose entre les opportunistes nationaux et les agendas extérieurs.
Au cœur de cette guerre hybride se trouve le CPEC, un projet qui pourrait redéfinir l’avenir du Pakistan. Les attaques du BLA contre les projets du CPEC, telles que l’attentat à la bombe contre l’Institut Confucius en 2022 et l’embuscade du Jaffar Express, révèlent les vulnérabilités du joyau de la couronne pakistanaise. La guerre hybride vise à dissuader les investissements chinois en présentant le CPEC comme une entreprise « néocoloniale ». Face à des menaces existentielles, le Pakistan a lancé l’opération Azm-i-Istehkam (Résolution pour la stabilité) en juin 2024 contre les bases du TTP en Afghanistan, mais Kaboul a rejeté les demandes d’assistance d’Islamabad. Reconnaissant l’évolution de la dynamique de sécurité, le DG ISPR a déclaré que l’attaque redéfinissait la posture de défense du Pakistan, nécessitant une stratégie offensive.
L’Afghanistan, désormais plaque tournante du terrorisme transnational, est le point d’ancrage de ce réseau, reliant des groupes tels qu’Al-Qaïda et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) au chaos régional, avec un potentiel de débordement mondial. Pour contrer cela, les talibans doivent démanteler les écosystèmes terroristes, former un gouvernement inclusif et mettre fin à l’apartheid entre les sexes.
Au niveau international, il est essentiel de dénoncer les mécanismes de la guerre hybride, les rivalités liées au corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) et les réseaux de mandataires. Les décideurs politiques doivent traiter la région non pas comme un problème interne au Pakistan, mais comme une ligne de front dans une menace sécuritaire mondiale. L’objectif est d’enfermer le Pakistan dans un domaine géopolitique et géostratégique qui rappelle la guerre froide et l’après-11 septembre, en lui refusant la stabilité nécessaire pour réaliser le potentiel géoéconomique du CPEC. Distrait par une guerre hybride, un Pakistan perpétuellement déstabilisé ne peut pas évoluer vers un corridor économique reliant l’Asie aux marchés mondiaux, ce qui entrave encore davantage son ascension en tant que réalité géoéconomique.
Pourquoi les balles seules ne peuvent pas résoudre le problème du Baloutchistan
L’action militaire seule ne suffit pas. Des opérations telles que l’opération Azm-i-Istehkam échouent en ignorant la pourriture systémique : des réseaux de patronage qui accaparent les richesses du Baloutchistan, l’absence d’autonomie politique et les échecs de la gouvernance tels que l’inefficacité de la NACTA. Les balles aggravent l’aliénation, poussant les jeunes vers le militantisme, mais l’action décisive fait toujours défaut. La réticence du Premier ministre Shehbaz Sharif à convoquer le Comité de sécurité nationale révèle des lacunes en matière de leadership, dans un contexte d’apathie face aux coûts humains et stratégiques. Sans s’attaquer à la marginalisation économique et à la privation des droits politiques, les jeunes du Baloutchistan restent pris au piège des cycles de recrutement des terroristes.
L’attentat à la bombe contre le Jaffar Express incarne cette crise, reflétant les promesses non tenues dans un contexte d’ingérence étrangère. Relever les défis du Baloutchistan exige des réformes structurelles : répartition équitable des richesses minérales, démantèlement des réseaux de favoritisme et octroi de l’autonomie politique. Pour combler le fossé entre l’État et la société, il faut donner la priorité aux initiatives économiques et éducatives locales plutôt qu’à la militarisation.
Sur le plan extérieur, Islamabad doit contrer les ingérences hostiles, en particulier l’exploitation par l’Inde des griefs des Baloutches pour saboter le CPEC, par le biais d’un engagement diplomatique avec Kaboul et Téhéran pour freiner le militantisme transfrontalier. Les partenariats internationaux peuvent contribuer à atténuer l’encerclement stratégique. Sans ces mesures, le Baloutchistan risque la fragmentation, laissant son avenir à la merci de dirigeants qui embrassent la réforme ou perpétuent la guerre hybride.
Auteur : Dr Yasir Masood – Éminent analyste politique et de sécurité pakistanais basé à Pékin, universitaire et journaliste de radio et de télévision, spécialisé dans la communication stratégique. Il est titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’Université d’économie et de commerce international (UIBE) de Pékin, avec une spécialisation dans le conflit du Baloutchistan. Ses domaines d’expertise comprennent l’initiative « Belt and Road » (BRI), le corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), la géopolitique de l’Asie du Sud et de la région indo-pacifique, les relations sino-américaines et la politique étrangère chinoise. Il fournit régulièrement des analyses approfondies sur les relations internationales aux principaux médias et groupes de réflexion mondiaux.
(Les opinions exprimées dans cet article sont uniquement celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de World Geostrategic Insights).
Crédit image : AFP