Par Sumaira Manzoor

    La récente visite du ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, au Pakistan, au cours de la première semaine d’avril, a attiré l’attention des médias du monde entier. Le ministre russe des affaires étrangères a rencontré les dirigeants militaires et civils les plus en vue du pays. Plusieurs nouvelles dimensions de la collaboration économique et politique ont été discutées.

    Sumaira Manzoor
    Sumaira Manzoor

    Avant d’entrer dans les détails de ce développement récent, jetons un coup d’œil aux expériences passées dans les relations Russie-Pakistan. Pendant la période de la guerre froide, les relations n’étaient pas bonnes et l’Union soviétique était considérée comme la plus grande menace pour la sécurité du Pakistan, après l’Inde. De nombreuses raisons expliquent les relations difficiles entre les deux pays.  La plus importante était l’alignement du Pakistan sur le bloc occidental : Islamabad a rejoint l’OSEO et le CENTO, des blocs dont l’objectif fondamental était de contenir l’Union soviétique.

    La deuxième raison du désaccord était le facteur indien, surtout pendant la période des années 1970, lorsque le partenariat stratégique et militaire s’intensifiait entre l’Union soviétique et l’Inde.

    Le Pakistan a participé à la guerre par procuration menée par les États-Unis contre l’Union soviétique en Afghanistan, ce qui a également été à l’origine de mauvaises relations. Après la désintégration de l’Union soviétique en 1991, les relations entre la Fédération de Russie et le Pakistan ne se sont pas améliorées. Il y avait de nombreuses raisons à cela, mais deux d’entre elles sont les plus significatives.

    1) l’étroite collaboration militaire et stratégique entre l’Inde et la Russie

    2) Les Talibans en Afghanistan. Les Talibans (anciens moudjahidines) ont combattu l’Union soviétique dans le passé, tandis que le Pakistan était l’un des pays qui reconnaissait le gouvernement taliban. Cela a suffi pour que Moscownot améliore ses relations avec Islamabad.

    La relation Russie-Pakistan commence à changer après le 11 septembre. La période de normalisation montre une inclinaison différente par rapport à la « guerre contre le terrorisme », avec des échanges de délégations militaires entre les deux pays.

    Le tournant le plus significatif pour l’amélioration des relations a été les politiques « Pivot Asie » et « Indo-Pacifique » des États-Unis.

    Analysons un par un les facteurs à l’origine de l’émergence des relations entre le Pakistan et la Russie :

    Premièrement, le lien entre les États-Unis et l’Inde. La politique étrangère américaine des trois derniers présidents est principalement fondée sur l’endiguement de la Chine. À cette fin, les États-Unis considèrent l’Inde comme l’un de leurs plus importants alliés, et la collaboration en matière de défense entre les deux pays s’est considérablement développée au cours des deux dernières décennies.

    L’Inde, qui était l’un des membres fondateurs du Mouvement des non-alignés (MNA) pendant la période de la guerre froide, a désormais abandonné sa politique de neutralité et est fortement orientée vers l’Amérique : L’accord LEMOA, l’accord BECA et le partenariat QUAD – tous ces accords reflètent cette inclinaison vers les États-Unis. Le fournisseur d’équipements militaires de la Russie à l’Inde s’est considérablement réduit. En conséquence, la Russie cherche des alternatives : L’Inde, qui constituait le principal obstacle aux relations russo-pakistanaises, a désormais déplacé son attention vers l’ouest. Tout cela a contribué à l’amélioration et à la croissance du partenariat entre la Russie et le Pakistan. Nous pouvons donc dire que le lien entre l’Inde et les États-Unis offre des possibilités d’améliorer les relations entre Moscou et Islamabad.

    La deuxième raison principale de cette collaboration florissante est le changement de la dynamique géopolitique régionale. Les États-Unis ont également considéré la Russie comme une menace majeure pour leur sécurité lorsqu’ils ont annoncé leur politique d’endiguement de la Chine. Les États-Unis veulent construire un bloc d’États partageant les mêmes idées dans cette région sous la forme de QUAD et QUAD PLUS, divisant la région en deux grands groupes : les États qui se tiennent aux côtés des États-Unis et qui considèrent la Russie et la Chine comme une menace majeure pour la sécurité ; et les États qui ne considèrent pas ces pays comme une menace, mais plutôt comme un stimulant majeur pour leur économie. Le Pakistan fait partie de la deuxième catégorie, et de cette manière, le Pakistan et la Russie se sont retrouvés dans le même groupe.

    La troisième raison est le facteur Chine. Certains spécialistes pensent que la Chine est un pont entre la Russie et le Pakistan. Nous pouvons prendre l’exemple de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à cet égard, où le dialogue entre ces pays est présent.

    La quatrième raison est la géo-économie de la région. Le partenariat économique croissant entre le Pakistan et la Chine sous la forme du CPEC et le déplacement de l’attention de l’Inde vers l’ouest créent les conditions d’une collaboration accrue entre la Russie et le Pakistan. Les investissements directs étrangers (IDE) au Pakistan peuvent être augmentés en renforçant les relations économiques avec la Russie. Le Pakistan encourage également les démarches russes en vue d’un partenariat économique, comme la proposition de construction d’un gazoduc de 100 km entre Karachi et Lahore, d’une valeur de 20 milliards de dollars, en coopération avec la Russie.

    Si l’on se place dans le contexte de la Russie, le Pakistan peut devenir son principal marché, car l’Occident devient une destination difficile, et les Russes cherchent différentes options, et le Pakistan en est une.

    La dernière raison principale est le « contre-terrorisme », sur lequel une grande collaboration entre la Russie et le Pakistan s’est développée. Des exercices militaires conjoints de lutte contre le terrorisme ont lieu chaque année depuis 2016, et les deux pays partagent leurs expériences dans ce domaine. La lutte contre le terrorisme est donc un autre élément contraignant important pour les deux pays.

    Quels pourraient être les avantages et les défis potentiels pour le Pakistan de ce partenariat croissant ?

    Il existe trois grands domaines dont le Pakistan bénéficie ou peut bénéficier, à savoir les avantages politiques, économiques et sécuritaires.

    Politiquement parlant, le partenariat croissant avec la Russie peut apporter au Pakistan un soutien important de la part des grandes puissances du Conseil de sécurité des Nations unies sur diverses questions sensibles telles que le Cachemire. L’isolement dont le Pakistan a fait l’objet de la part des lobbies occidentaux et indiens au sein des Nations unies sera réduit. La Russie se joindra à la Chine pour soutenir le Pakistan au niveau mondial et régional.

    D’un point de vue économique, le Pakistan met en œuvre des changements majeurs dans sa politique étrangère afin de poursuivre des intérêts géostratégiques vers des intérêts géoéconomiques, qui ne peuvent être atteints sans le soutien des grandes puissances. Le monde occidental étant plus enclin à l’Inde, la Chine et la Russie sont les meilleures options disponibles pour le Pakistan. Bien qu’il n’y ait pas encore d’échanges commerciaux significatifs entre la Russie et le Pakistan, le potentiel est important et certains universitaires pensent que le CPEC peut être étendu à la Russie. En outre, le Pakistan est un pays en pénurie d’énergie et la Russie pourrait être la meilleure option pour répondre à ses besoins énergétiques en important du gaz. Dans ce contexte, un protocole d’accord de 10 milliards de dollars a été signé il y a quelques années.

    En termes de sécurité, les États-Unis ont bloqué l’aide militaire au Pakistan en 2017. Islamabad doit donc maintenant obtenir le soutien de puissances alternatives, et la Russie est prête à fournir une aide importante en matière de défense au Pakistan pour lutter contre le terrorisme.

    Malgré tous les avantages potentiels du partenariat croissant entre le Pakistan et la Russie, le Pakistan doit également relever des défis.

    La collaboration militaire entre la Russie et l’Inde est toujours présente, ce qui peut constituer une menace pour la sécurité nationale du Pakistan et peut être une source sérieuse de friction avec la Russie pour l’avenir.

    Le deuxième facteur limitant est la disparité économique du pays. Certains universitaires affirment que l’implication de la Russie au Pakistan est le résultat des politiques américaines envers cette région, plutôt que le développement d’une coopération bilatérale. Le Pakistan peut attirer directement les investissements russes pour stimuler son économie, mais il faut d’abord améliorer les conditions économiques du pays.

    L’avenir incertain de l’Afghanistan est un autre défi majeur pour les relations Pakistan-Russie. Si le processus de paix en Afghanistan échoue, les troubles commenceront en Afghanistan, avec la possibilité d’une nouvelle vague de terrorisme dans la région. Si l’on se réfère à l’histoire, cela peut représenter une grande divergence pour les deux pays.

    Enfin, le dernier défi majeur est la méfiance historique entre les deux pays, qu’il faudra du temps pour surmonter.

    En d’autres termes, si nous pouvons être optimistes quant à l’amélioration des relations russo-pakistanaises, nous ne devons pas l’être trop. Compte tenu de l’histoire, le partenariat croissant entre le Pakistan et la Russie pourrait être temporaire, et Islamabad ne devrait donc pas trop miser sur les relations avec Moscou. Le Pakistan devrait se concentrer sur ses intérêts nationaux.

    Auteur: Sumaira ManzoorM.phil Scholar ( Political Science ) Bahawalpur, Pakistan.

    (Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale ou les opinions de World Geostrategic Insights).

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